Ce pôle vise à étudier les transformations intellectuelles et idéologiques en Russie, en s’intéressant particulièrement aux effets du contexte de guerre et de répression autoritaire en cours depuis les débuts de l’invasion de l’Ukraine en février 2022. Quatre principales pistes de recherches seront privilégiées, sans être exclusives :
- la production idéologique du régime
- les transformations des champs intellectuels et idéologiques
- la transnationalisation des cercles intellectuels et idéologiques
- les rapports, attitudes et (re)positionnements des acteurs européens
La première concerne la
production idéologique du régime russe afin d’en saisir les influences sur les politiques de la Russie en matière de défense et de sécurité, sa politique étrangère, sa culture stratégique, ainsi que son « soft power » destiné à une audience internationale. À l’intérieur du pays, le développement d’un appareil idéologique d’État se révèle à travers l’éducation militaro-patriotique dispensée dans les écoles et les universités, les campagnes de propagande dans les médias traditionnels et sur les réseaux sociaux, ou encore les politiques mémorielles et la réécriture de l’histoire. Toutefois, cette production d’idées n’est pas le monopole du régime. Des acteurs pluriels, tant étatiques que non étatiques ou para-étatiques, sont investis dans la production de référentiels idéologiques, créant ainsi une compétition entre leurs agendas.
Une autre perspective de recherche concerne les profondes
transformations des champs intellectuels et idéologiques russes en temps de guerre. On peut interroger à cet égard les façons dont l’expertise a été mise au service du régime, que ce soit à travers des structures comme le Conseil russe de politique étrangère et de défense (SVOP) ou des laboratoires d’idées comme l’Institut d’expertise en recherche sociale (EISI). Dans le champ académique, des institutions telles que le Haut collège d’économie ou l’Académie russe de l’économie nationale et du service public sont également mobilisées pour soutenir l’effort de guerre. Parallèlement, le champ médiatique et éditorial a été considérablement affecté par la guerre, avec la fermeture et l’exil forcés de médias d’opposition ou d’orientation libérale/anti-guerre, tandis que différentes plateformes comme RT et les chaînes Telegram de blogueurs militaires (
voenkory) ont joué un rôle essentiel dans la diffusion des récits officiels. Le champ culturel et artistique a, lui, vu émerger des formes multiples de résistance et de subversion face au régime russe, mais aussi l’apparition d’une culture guerrière et patriotique, dite « culture Z ».
Le troisième piste vise à explorer les dynamiques de
transnationalisation des cercles intellectuels et idéologiques russes. Il convient d’analyser ces dynamiques, provoquées par une nouvelle vague d’émigration, en se penchant notamment sur les prises de positions, les discours, les réseaux et les institutions des acteurs exilés ou émigrés. Les débats autour d’enjeux épistémiques et de concepts tels que la « décolonisation », le « décentrement » ou encore la « fascisation » reconfigurent les cadres de pensée en sciences sociales et humaines qui ont pour objet la Russie.
Enfin, pourront être étudiés les effets de la guerre sur l’évolution des
rapports, attitudes et (re)positionnements des acteurs européens à l’égard de la Russie. Cet enjeu est au cœur des débats politiques et législatifs portant sur l’engagement des États en soutien à l’Ukraine, mais aussi sur l’évolution de la construction européenne. L’invasion russe de l’Ukraine constitue également un moment charnière dans la reconfiguration des réseaux transnationaux de circulation d’idées entre la Russie et l’Europe entretenus par des acteurs intellectuels et des mouvements politiques de la droite radicale.